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25 janvier 2008 5 25 /01 /janvier /2008 16:46

     "Suivant que vous serez puissant ou misérable,
       les jugements de cour vous rendront blanc ou noir"

                                                      
Jean de la Fontaine
                                           Les animaux malades de la peste
 
    Scandale dans le monde de la Banque et même, par la grâce des médias, dans le Monde "tout court" (façon de parler !)... Un simple courtier de la Société Générale, une des grandes banques françaises, a trouvé le moyen par des spéculations risquées sur le marché financier, de lui faire perdre 5 milliards d'euros... L'affaire n'est pas sans précédent, puisqu'un courtier britannique avait provoqué en 1995 la faillite de la banque Barings pour une perte de "seulement" 1,15 milliard d'euros...Et en France même, il y a eu en 1993 l'affaire du Crédit Lyonnais où le PDG Haberer avait été condamné pour comptes frauduleux, alors qu'il avait surtout servi de ..."bouc émissaire"  pour avoir voulu mettre de l'ordre dans une gestion opaque (*)...

   Cette recherche d'un "bouc émissaire" n'est à vrai-dire pas propre à la banque... Elle est même très courante en France... Ainsi, quand un Collège est incendié - exemples de Pailleron à Paris en 1973 ou de Betton près de Rennes en janvier 2008 - avant même de condamner le "coupable" (si on le trouve...), on met en cause le Chef d'établissement, jugé "responsable", ne serait-ce que s'il n'a pas veillé suffisamment à la sécurité ...en oubliant que le Collège a été construit suivant des "normes" insuffisantes autorisées naguère par un Ministre de l'Education Nationale... De même, dans l'affaire de "sang contaminé" en 1991, il était plus facile de s'en prendre aux médecins de l'Institut Pasteur que de mettre en cause Georgina Dufoix, Ministre de la Santé, qui s'était abritée derrière une formule restée célèbre : "Responsable mais pas coupable"...

   Or, par définition, une "société" humaine vit suivant des "règles", quelles qu'en soit l'origine et la nature : religieuse, philosophique, morale ou simplement juridique... Et une règle essentielle est de "sanctionner la faute", même si, comme chacun sait, "l'erreur est humaine" et si chacun peut en commettre, pas toujours volontairement... Quand la "responsabilité" est clairement établie, la justice applique la loi, celle-ci ayant d'ailleurs évolué au cours des temps, de la simple loi du "talion" (oeil pour oeil...)  à des codes élaborés... Mais la responsabilité n'est pas toujours "évidente" et dans ce cas, même si la justice a tranché, l'opinion ne s'en satisfait pas toujours et exige alors de trouver le "véritable responsable" afin que l'affaire ne se reproduise pas... Bref, il lui faut trouver un ..."bouc émissaire"...

   En fait, la notion de "bouc émissaire" n'est pas nouvelle... Elle est même très ancienne... Il est avéré qu'il y a eu, dès les temps préhistoriques, des individus "sacrifiés aux dieux" pour conjurer les fautes du groupe... Et, une fois de plus, on trouve dans la Bible à la fois la pratique et l'expression, en lisant le Lévitique qui  décrit le rite expiatoire (Yom Kippour) où on prenait deux boucs, l'un étant directement sacrifié, l'autre étant envoyé au désert (caper emissarius ="bouc envoyé ou lâché") avec un rôle bien défini : "Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des Israélites...Après en avoir ainsi chargé la tête
du bouc, il l'enverra au désert...et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu aride..." (XVI-22)...Et, pour le chef, il y avait le sacrifice d'expiation : "Si c'est un chef qui a péché... il offrira en sacrifice un bouc ...sans défaut. Il posera la main sur la tête de bouc, qu'il égorgera..."(IV-22-26)... Quant aux chrétiens, ils présentent Jésus-Christ comme "un agneau immolé", sa crucifixion étant considérée aussi comme un sacrifice expiatoire pour sauver le monde... Malheureusement, c'est encore par un souci d'expiation qu'ils s'en prendront plus tard aux juifs, dont ils feront les ...boucs émissaires des malheurs des temps (guerres, peste, etc...)

   C'est la même "injustice" qui, encore maintenant, prévaut souvent dans la recherche de "boucs émissaires"... Ainsi, dans cette affaire actuelle de la Société Générale, on aurait compris que le PDG Daniel Bouton soit considéré comme le "responsable" de la faute d'un subordonné, pour n'avoir pas su mettre en place un contrôle efficace des spéculations... Et on l'aurait compris d'autant plus que la Société Générale a perdu dans le même temps ...2 milliards d'euros supplémentaires pour des investissements hasardeux dans les crédits immobiliers de type "subprime" des Etats-Unis... Ce PDG a d'ailleurs présenté - non sans courage - sa démission... Mais celle-ci n'a pas été acceptée, le Conseil de la Banque s'étant "contenté" de licencier les "supérieurs hiérarchiques directs" du courtier fautif, autrement dit de trouver des ...boucs émissaires" !... Un tel comportement n'est pas seulement "injuste", ... il défie la morale, car la Société Générale s'est empressée de faire savoir aussitôt que les placements des actionnaires et des épargnants n'étaient pas en danger, que la Banque n'était pas menacée de faillite et que, même si elle avait perdu de l'argent, ses comptes resteraient bénéficiaires, l'affaire lui donnant l'occasion de procéder à une "augmentation de capital" pour effacer l'ardoise... Ce qui signifie en clair qu'en cette période de crise économique plus ou moins larvée la Société Générale, comme les autres banques, avait gagné beaucoup d'argent ces ces dernières années, ayant d'ailleurs été classée en mars 2007 comme la 6ème entreprise du CAC 40 à avoir réalisé des "profits historiques"... Bien entendu, on ne révèle pas l'origine de cet enrichissement, et même s'il est contestable (ex: accroissement du coût de l'essence au dépens du public consommateur...), on n'a évidemment condamné personne suivant un principe simple : quand tout va bien, "tout le monde" y a contribué... C'est seulement quand tout va mal ou quand il y a un problème qu'on recherche "un" ou, à la rigueur , "quelques" responsable(s)...
 
   Finalement, il apparaît donc que c'est la notion même de "responsabilité" qui doit être clarifiée, pour éviter ce recours constant au "bouc émissaire"...... Il est certes normal que chacun assume la responsabilité de ses actes, mais encore faut-il qu'en cas de problème, cette responsabilité corresponde à une faute "personnelle" et non pas à une faute "du service"... Or l'article 1384 du Code Civil prescrit "qu'on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde"... L'application abusive de cet article a longtemps provoqué des affaires graves, notamment pour les chefs d'établissement scolaire, au point qu'il a été corrigé par la Loi du 5 avril 1937 substituant la responsabilité de l'Etat à la leur en matière de responsabilité civile, c'est-à-dire surtout de réparation financière... Mais cette Loi ne les met pas à l'abri de leur responsabilité pénale, c'est-à-dire d'un emprisonnement éventuel et d'une inscription au casier judiciaire, conformément à un arrêt de la Cour de Cassation en 1971 permettant de recourir aux articles 319 et 320 du Code Pénal quand il y a des victimes (décès, blessures...), alors que ce recours devrait être limité aux fautes "personnelles" d'une gravité exceptionnelle (homicide, sévices, attentat aux moeurs...) et ne jamais être étendu aux fautes "du service" faisant d'eux des "boucs émissaires"...

   La disparition de la pratique du "bouc émissaire" passe donc en France par une révision de la Loi permettant d'instaurer la justice là ou règne encore l'injustice...


(*) Jean-Yves Haberer "Cinq ans au Crédit Lyonnais" Editions Ramsay 1999

  

 

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commentaires

J
Nous sommes dans une ère où les juges ne veulent plus juger, et dans de très nombreux cas, poursuivent le but de renvoyer les parties chacune chez elle. Sans doute que ça leur est plus confortable.(Mais c'est divinement mieux que d'envoyer des innocents en prison, voire de les condamner)Mais surtout, plus personne ne veut être responsable de rien !Alors le législateur pond en série des textes qui sont incompréhensibles pour ceux qui doivent les appliquer, ou des textes qui disent exactement le contraire du précédent. Choisissez Messieurs/Dames la version qui vous convient.1 800 (Mille huit cents) textes de loi  voient le jour chaque année en France. C'est dingue !En France, le code pénal a été réformé 158 fois entre 1990 et 2007.Comment voulez-vous que ce soit applicable ? Je m'inquiète de la formation des magistrats d'une part, du manque total d'assistance qui devrait normalement être acquise aux débutants, alors que d'autres dorment dans leur bureau; de l'état de santé de trop nombreux juges, et quand tout ceci est écarté, ....de leur "je m'en foutisme". Nombre d'entre eux ne lisent même pas leurs dossiers. Tout le monde s'en fout. Mais...la justice est rendue au nom du peuple français.Ils ne sont jamais ni coupables ni responsables de leurs défaillances.  
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D
   Réponse de "normand" (d'adoption en été) : vous avez raison, mais je n'avais pas tort.   - Pour la responsabilité civile, j'ai simplement fait un historique pour rappeler que la "subrogation" n'est longtemps pas allée de soi, en raison de l'article du Code Civil, et qu'il a fallu une législation tardive pour la réglementer...   - Pour la responsabilité pénale, vous "bottez en touche" en écitant le cas où un chef d'établissement aurait constaté un défaut d'installation sans y rémédier... J'ai eu personnellement à connaître du cas où un(e) chef d'établissement a été poursuivie au pénal par des parents - certes éplorés - dont l'enfant avait été victime de la chute d'un portique d'éducation physique, dont elle n'avait pas la compétence pour déceler un défaut...  
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J
Franchement, là, je ne partage pas votre point de vue.Sachant que vous avez exercé d'importantes responsabilités dans des établissements scolaires, j'ai besoin que vous m'expliquiez deux ou trois choses.1. Il tombe sous le sens que le contrat de travail subroge la responsabilité civile. Si un salarié, dans le cadre de son contrat de travail, commet un dommage à autrui, par nature, c'est l'employeur qui paie les dégats et non pas le salarié.2. Quand un salarié reçoit une instruction de travail qu'il estime être de nature à engager sa responsabilité civile, il a évidemment de droit de demander une confirmation écrite de l'instruction afin d'avoir la preuve qu'il s'agit bien d'une instruction de service et non d'une initiative personnelle.3. Quand un salarié reçoit une instruction, même écrite, dont il estime qu'elle engage sa responsabilité pénale, il a évidemment le droit de ne pas l'exécuter, dans tous les cas.4. Un chef d'établissement scolaire constate qu'une des installations dont il a la garde est défectueuse et est, de ce fait, susceptible de provoquer un dommage à autrui. Il DOIT procéder, de son propre chef, sans en référer préalablement à sa hiérarchie, à la neutralisation de l'appareillage défectueux. Il doit , par contre, en référer à posteriori afin de signaler le fait et demander des instructions ECRITES pour la suite à donner, ce qu'il ne fait pratiquement jamais ...Des syndicats puissants et attentifs aux intérêts de leurs adhérents permettent d'éviter des difficultés.
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