Le rôle de la presse - écrite ou télévisée - est "d'informer", sans parti-pris, en laissant au public le soin d'apporter ses jugements : l'expérience prouve d'ailleurs que ceux-ci sont le plus souvent très variés, conformément à la "liberté de pensée"...Ensuite seulement, on peut confronter les points de vue et discuter dans le cadre de tribunes ou de forums...
Tel n'est pas le cas dans cette"affaire" actuelle de la Lybie, dont le "Guide" Kadhafi est systèmatiquement "diabolisé", et ceci moins pour condamner sa "personne" que pour rabaisser le Président et le Gouvernement de la France qui n'auraient réalisé un incontestable succès diplomatique à propos des "infirmières bulgares" qu'en "pactisant avec le diable"...
En l'occurrence, le problème n'était pas de "valoriser" Kadhafi, "personne" peu intéressante coupable de divers excès et même de crimes depuis son arrivée au pouvoir par un coup d'état en 1969, et qui, si les circonstances l'avaient permis, aurait pu être traduite devant un Tribunal Pénal International pour "crimes contre l'humanité", à l'instar de Milosevic dans l'ex-Yougoslavie... On était seulement dans le contexte de ce que les Allemands appellent la "Réal-Politik", où les "raisons d'Etats" ont toujours prévalu sur les "raisons de personnes" : à ce titre, il suffit de rappeler les exemples majeurs de Mussolini signant les "Accords de Latran" en 1929 avec le Pape, et d'autre part d'Hitler signant les "Accords de Munich" en 1939 avec le Français Daladier et l'Anglais Chamberlain...
Il n'y a donc rien "d'extraordinaire" à ce que des négociations aient pu avoir lieu avec la Lybie de Kadhafi, et ceci d'autant moins que l'embargo dont elle avait fait l'objet après divers attentats (cf : l'affaire de Lockherbie), a été levé depuis 2004, et que divers pays - dont l'Allemagne et l'Italie - et l'Union Européenne pour les contrats d'EADF n'ont pas hésité à engager des discussions pour divers contrats... Fallait-il donc que la France soit l'un des seuls pays à refuser de discuter avec la Lybie, au nom d'une "morale internationale" ...qui est par ailleurs bafouée par de nombreux Etats "démocratiques", ou se voulant tels, comme les Etats-Unis en Irak ou la Russie en Tchetchénie?...
Evidemment, la "nature" des accords a son importance... Quand il s'agit d'une mesure humanitaire comme la libération des infirmières bulgares ... ou encore la participation à un fonds d'aide aux enfants victimes du sida, on ne fait pas d'objection... Mais évidemment on s'inquiète quand il s'agit d'armement ou de centrale nucléaire... Pour l'armement, les Français ne sont pas les seuls... Pour la centrale nucléaire, il convient de rappeler que la France bénéficie d'une forte réputation internationale dans ce domaine et que Kadhafi accorde une préférence exclusive à la France, ayant quelque raison d'écarter les Etats-Unis qui avaient bombardé naguère sa résidence... Il veut d'ailleurs associer la France à son projet "pharaonique" de fabrication massive d'eau douce par réchauffement de l'eau de mer à l'aide de l'énergie nucléaire, et ceci non pas simplement pour faire face à l'accroissement de la consommation en Lybie, mais pour ...créer un lac artificiel à l'intérieur du pays comportant actuellement 90% de déserts, en vue de sa mise en valeur... Certes, suivant les spécialistes, et malgré les assurances données, il est toujours possible de passer du "nucléaire civil" au "nucléaire militaire" ...mais il est tout de même peu vraisemblable que le "Guide" lybien prenne un tel risque, alors qu'il cherche à reprendre sa place dans les relations internationales...
C'est pourtant le seul aspect qui est mis en exergue dans les médias... Ne pas rappeler tout le contexte relève de la "désinformation"... et critiquer le Président et le Gouvernement de la France qui ont saisi l'occasion de "finaliser " des accords préparés avant leur arrivée au pouvoir...relève de la mauvaise foi... De toutes façons, dans les "affaires troubles", on est bien obligé d'en passer par des "arrangements"... et si la France veut jouer un rôle "noble" dans le règlement de la tragédie du Darfour, il ne sera peut-être pas inutile qu'elle puisse compter sur l'influent voisin qu'est la Lybie..
N.B. Pour plus amples détails, lire l'article de Jacques Heurtault "Retour sur la Lybie" : clic/ http://www.propositions-audacieuses.net/article-7003956.html
+ Article Figaro - Débats/Opinions - Lundi 6 août 2007 LA CHRONIQUE d'Alexandre Adler.
Publié le 06 août 2007
Bouchon/Figaro.
On ne peut parler de la Libye qu'entre le rire et les larmes. Les pitreries diverses de son chef, ainsi que son goût des accoutrements issus du Cirque Pinder, donnent souvent à sourire. Mais il est également vrai, malheureusement, que le pitre, lui, ne rit pas : si les infirmières bulgares et le médecin palestinien n'avaient pas dû signer en partant un engagement à renoncer à toutes poursuites pénales pour les tortures subies durant leurs longues incarcérations, un petit coup de projecteur sur le niveau de la civilisation de ce pays, nouvel ami et allié, aurait pu être braqué. Mais de sa brève passion pour la défunte Union soviétique, Kadhafi a au moins importé cette pratique de décharge judiciaire qui, rappelons-le, était imposée à partir de 1953 à tout citoyen soviétique élargi du Goulag.
Mais il y a encore plus tragique et plus comique à la fois dans le fait que la Libye est à peine une nation, et, à bien des égards, selon le voeu de son chef tutélaire, un État en voie de dépérissement : la Cyrénaïque a toujours regardé vers l'Égypte voisine, et les Frères musulmans, tournés vers Le Caire, y sont particulièrement bien implantés. La Tripolitaine et le Fezzan sont, au contraire, depuis toujours, des terres berbères, tournées vers le reste du Maghreb. Depuis l'émergence de la rente pétrolière, le travail est essentiellement assuré par des immigrés égyptiens ou tunisiens, voire africains, maltraités et brutalisés de temps à autre par les « citoyens » de cet admirable pays. Pays en sursis, tant sur le plan de la géographie que de l'histoire, la Libye et son chef, fort inintéressant, doivent cependant être préservés par tous les moyens, en raison de la crise profonde qu'elle traverse.
En effet, nous avons assisté, ces dernières années, à l'équivalent d'une mutation virale aux conséquences peut-être catastrophiques. La dynastie des Senousis, renversée par Kadhafi en 1970, a toujours eu des partisans qui furent un temps pro-occidentaux. Mais, depuis l'abandon de l'opposition par le président égyptien Moubarak, qui se réconcilia spectaculairement - et financièrement - avec Kadhafi, au début des années 1980, cette dernière n'a plus eu pour ressources que de maigres subsides américains et saoudiens, puis un appui de plus en plus ferme de la mouvance islamiste moyen-orientale.
Très vraisemblablement majoritaires dans le pays, les islamistes senousis, devenus entre-temps des fidèles dévoués d'Oussama Ben Laden, ont même, à présent, à leur tête un chef relativement charismatique, Yahia al-Libi, fort heureusement, pour l'instant, retranché quelque part dans les confins entre l'Afghanistan et le Pakistan. Mais la situation est suffisamment sérieuse pour avoir engagé Kadhafi, poussé par son fils, le très libéral Seif el-Islam, à se réconcilier avec l'Occident tout entier, qui considère aujourd'hui la dictature essoufflée et grotesque de Tripoli comme un moindre mal à supporter avec patience ; voire à défendre un jour contre des ennemis autrement redoutables, qui ne tarderaient pas à ressusciter l'agressivité terroriste des premières années du régime, les oripeaux du nationalisme arabe ayant été cette fois-ci troqués au profit d'un islamisme pur et dur. C'est la raison pour laquelle les procès implicites qui sont faits à la France et à son président, depuis la spectaculaire libération des infirmières bulgares, sont particulièrement malvenus, voire surprenants.
La Grande-Bretagne et les États-Unis n'ont pas attendu le résultat de ce douloureux problème humanitaire pour s'implanter de nouveau à Tripoli et commencer à négocier très officiellement des contrats d'armement, tandis qu'un grand économiste de Harvard, le professeur Porter, s'efforçait tant bien que mal d'instiller un semblant de rationalité économique dans cette malheureuse « boîte à sable », tuméfiée par une rente pétrolière excessive et toujours mal employée. Ce n'est un secret pour personne que l'Allemagne n'a cessé de pousser les intérêts de Siemens dans la conclusion d'un accord nucléaire civil, tandis que son ministre des Affaires étrangères poursuivait sa négociation humanitaire avec un indéniable succès. Quant à l'Italie, dont les services secrets aidèrent Kadhafi à prendre le pouvoir dès 1970, elle s'est fait, notamment en la personne de Romano Prodi, lorsqu'il présidait la Commission européenne, l'avocat inlassable du tyran de Tripoli. Tout ce que la France a apporté dans ce concert unanime du monde occidental, c'est un singulier dynamisme accompagné d'une vitesse d'exécution, dont elle est légitimement la bénéficiaire provisoire.
Mais il y a plus surprenant et plus hypocrite encore avec l'attitude de notre Parti socialiste national : depuis l'aide apportée par le gouvernement libyen à la campagne de désinformation sur les diamants de Giscard jusqu'à la rencontre surprise de Mitterrand avec Kadhafi, et les reculs permanents de la diplomatie française dirigée par Roland Dumas face aux exactions libyennes, le Parti socialiste est sans doute de toutes les formations politiques françaises celle qui présente le plus lourd dossier en matière de complaisances et de « realpolitik » injustifiée. Nicolas Sarkozy n'a, dans cette affaire, ni rompu les rangs de la solidarité occidentale, comme le faisaient Mitterrand et Dumas, ni apporté de caution idéologique à un régime moribond, dont nous sommes néanmoins contraints, par le malheur des temps, d'organiser la survie, faute de mieux.
par Alexandre Adler