L'Europe est, de toute évidence, le continent le plus mal délimité, puisqu'elle ne se présente, sur le globe terrestre, que comme une presqu'île avancée de l'Asie... Et sa limite avec l'Asie est assez indistincte, car la limite "traditionnelle" de l'Oural n'est qu'une montagne moyenne étirée sur 2000 kms du Nord au Sud mais ne dépassant généralement pas 500 à 1000 mètres... Et cette montagne n'a jamais été un barrage contre les invasions venues de l'Est, qu'il s'agisse des peuples "préhistoriques" aux origines incertaines (les pierres levées...), des peuples "indo-européens" (ayant laissé un héritage linguistique complexe...), ou des peuples dits "barbares" (les grandes invasions du 5ème siècle après JC)... D'ailleurs, pendant toute l'Antiquité, l'Europe n'a jamais été une réalité historique, le centre du "monde connu" étant alors au Sud la Méditerranée, avec les pays du Moyen-Orient, les Grecs et les Romains peu tournés vers les pays du Nord...
En fait, l'Europe "historique" ne se dégage que lentement à partir du Moyen-Age en raison de la montée en puissance des pays du Nord réorganisés par les "Barbares" ... et de l'effacement des pays méditerranéens, bientôt noyés, surtout au Sud, par la vague "arabe" (7ème siècle). Cette montée en puissance est favorisée par le rôle de l'Eglise, où le Pape hérite en quelque sorte de l'influence romaine et recherche des appuis politiques au Nord : la reconstitution d'un Empire "européen" par Charlemagne donne lieu à un couronnement très significatif par le Pape (800). Mais les divisions féodales l'emportent ensuite, et l'histoire de l'Europe n'est plus jusqu'au 19ème siècle qu'une interminable succession de conflits, notamment entre la France, l'Angleterre, l'Espagne et le Saint-Empire Romain Germanique..., les efforts "unitaires" des Habsbourgs, héritiers de la couronne de Charlemagne, des Capétiens (Louis XIV) et de la Révolution et de l'Empire français (Napoléon) étant voués à l'échec... Pire encore : les rivalités des puissances européennes, renforcées par les colonisations extérieures, donnent lieu au 20 ème siècle à 2 guerres mondiales qui ruinent son influence internationale au profit de puissances émergentes comme les Etats-Unis...
L'unification de l'Europe apparaît alors comme une nécessité vitale, sous peine de nouveaux conflits "fratricides" ou même d'une vassalisation par l'URSS voisine, au faîte de sa puissance... L'idée n'est cependant pas nouvelle : déjà Lamartine avait lancé en 1848 un "Manifeste pour l'Europe" ; Victor Hugo avait prédit en 1867 "qu'au 20ème siècle il y aura une nation extraordinaire : elle s'appellera l'Europe"; Le Comte autrichien Coudenhove-Kalergi avait demandé en 1923 la création des "Etats-Unis d'Europe", et l'idée avait été reprise par Aristide Briand en 1929 dans un projet "d'Union pan-européenne"... C'est tout le mérite d'hommes comme l'italien De Gasperi, l'allemand Adenauer et le français Robert Schuman d'être passés "du rêve à la réalité" et d'avoir su transcender les divisions anciennes en définissant une politique généreuse, à l'image de Robert Schuman qui propose le 9 mai 1950 "la paix comme objectif, la liberté comme principe, et la solidarité comme méthode"...
Il faut malheureusement constater que cette politique généreuse est loin d'être achevée, in demi-siècle après... Ce n'est pas par hasard que la "Communauté Européenne" se constitue d'abord - non sans difficultés - sur le plan économique, à l'instigation du technocrate Jean Monnet, car les pays y trouvent leur intérêt : CECA, Euratom, Marché Commun, PAC, Pacte de stabilité... Plus significative néanmoins est la création de l'Euro (1999), car elle a une valeur de symbole en matérialisant la "communauté des européens" dans une monnaie courante et quotidienne... et, ne serait-ce qu'à ce titre, il est inconcevable d'en suspendre l'application pour satisfaire éventuellement des "égoïsmes nationaux" (*)... Car il faut justement vaincre ces égoïsmes, qui déjà ont entravé l'organisation politique qui a encore une "structure éclatée" avec un Conseil Européen, une Commission Européenne, un Parlement européen, et ceci dans des lieux différents et avec une Présidence changeant tous les 6 mois... Egoïsmes qui conduisent souvent à imputer à l'Europe les difficultés "nationales" : on l'a vu en 2005 avec le refus du Traité par les français pourtant acquis en majorité à l'idée européenne, mais ayant voulu traduire un mécontentement contre leur gouvernement ...ainsi que leur crainte de l'entrée de la Turquie... car aux problèmes politiques s'ajoutent des considérations religieuses plus ou moins liées aux traditions (ex: place de la femme)...
Il est donc nécessaire d'aller plus loin, même s'il faut y aller à pas comptés... Les Chefs d'Etat, dans leur déclaration commune et préliminaire au Traité en 2005, avaient affirmé avec sagesse que "les peuples d'Europe, tout en restant fiers de leur identité et de leur histoire nationale, sont résolus à dépasser leurs anciennes divisions et, unis d'une manière sans cesse plus étroite, à forger leur destin commun"... Déjà, les Européens sont unis par une communauté d'action dans l'art, la musique, le sport, l'éducation, la recherche, le tourisme... Les jeunes, qui représentent l'avenir, multiplient leurs échanges (Erasmus...). Mais l'Europe ne deviendra vraiment "populaire" que si elle ne donne pas l'impression, au nom de la "liberté", de faciliter les regroupements et les "délocalisations" induits par un inégal développement des pays membres, notamment depuis l'élargissement aux pays dits "de l'Est"... autrement dit si elle devient une Europe "sociale", c'est-à-dire "fraternelle"... De même, compte tenu de son histoire séculaire, elle devra sauvegarder sa diversité à la fois nationale et régionale, qui fait sa richesse après avoir fait son malheur... Car une Europe seulement "économique" et "unitaire" ne serait qu'un mauvais rêve.. La réalité est que l'Europe sera "sociale" et "plurielle" ou elle ne sera pas...
(*) Voir article de J. Heurtault - Liens / Propositions audacieuses