Ainsi donc, dans cette histoire de la Société Générale, la justice a pris une "décision exemplaire", qui doit satisfaire l'opinion publique ...puisque la justice est rendue, comme chacun sait, "au nom du peuple français" ...L'ennui est que l'opinion n'est pas rassurée, ...elle est même troublée, comme l'explique Bernard Le Solleu dans son éditorial du 6 octobre 2010 paru dans le journal Ouest-France (le dessin humoristique étant de Chaunu) :
"On ne badine pas avec l'argent des banques. La spéculation est un sport à hauts risques judiciaires ...quand on perd...Jérôme Kerviel, le trader bigouden, le jeune homme de Pont-l'Abbé qui avait gravi les échelons de la salle des marchés de la Société Générale, s'il en doutait encore, l'a appris, hier, à ses dépens. Le jugement le concernant est sans pitié aucune. Les procureurs l'avaient accablé. La banque réclamait une peine exemplaire. Les juges le crucifient ...Ce fraudeur "cynique" a mis en péril, écrivent-ils, l'un des plus grands établissements français, un pilier de la finance mondiale...
Pourquoi tant de hargne ? Il n'est pas le premier employé de banque qui tombe, fasciné par le veau d'or. Mais lui, contrairement à d'autres, n'a pas détourné d'argent, il ne s'est pas enrichi, même s'il rêvait de bonus mirifiques ...Il s'est laissé griser par le monde virtuel de la spéculation informatique, des passages d'ordre automatiques par simples clics. Il a fini par se croire installé, sûr de sa chance, à une table de casino où, lorsqu'on a la main, rien ne peut vous arriver. Les cartes, comme le marché, finissent toujours par se retourner en faveur des gagneurs...
Kerviel s'est trompé de métier. Mais, ce faisant, il a donné, de la Banque en général, de la Société Générale en particulier, l'image d'un monde focalisé sur la spéculation, sans foi ni loi, au moment même où, crise des "subprimes" oblige, le temple vacillait sur ses bases... L'un des rois de la place, Daniel Bouton, l'indéboulonnable président de la Société Générale, se retrouvait nu, le sang glacé d'effroi ...Sa banque, censée être la plus sûre, avait frôlé le gouffre. Il ne s'en est pas remis.
Kerviel, sans le préméditer évidemment, a participé à la désacralisation du monde bancaire. L'affaire a mis en émoi l'Elysée. Elle n'était pas seulement financière. Elle était politique. Elle accentuait les doutes de l'opinion sur la bonne marche des affaires et de l'économie. Elle ajoutait ses milliards au creusement des déficits... Kerviel, aux yeux de ses procureurs, avait donc mis en péril "l'ordre public, économique et financier"...Rien de moins . Et les juges ont repris, intégralement, sans nuances, cette analyse.
La banque peut se réjouir. Elle est totalement disculpée. Quant aux juges, ils estiment n'avoir appliqué que le droit. La défense de Kerviel peut s'en prendre à elle même. Elle s'est empêtrée dans d'insurmontables contradictions ...Mais, à trop accabler cet homme seul, ce n'est pas l'ordre public qui est restauré. C'est le doute...Comment ne pas penser que Kerviel paie pour un système qui, depuis, dans ses contrôles, ses prises de risques, a dû se réformer...
Certes le jeune trader n'est en rien un Robin des Bois de la finance,. Le blanchir était impensable. C'eût été accorder un blanc-seing à tous les spéculateurs dévoyés des salles de marché. Mais l'accabler, lui infliger des dommages et intérêts pharaoniques, hors de portée, peut avoir un résultat contraire au but recherché. L'opinion n'est pas rassurée, elle est troublée. Et l'affaire Kerviel prolongée en appel...
Il est certain que Jérôme Kerviel n'était pas "innocent", mais pour autant était-il "coupable" ?...Il était un "trader" dans une banque, c'est-à-dire un employé chargé d'enrichir celle-ci par de la "spéculation", c'est-à-dire en jouant sur les cours de la Bourse, sans considération particulière pour les intérêts des entreprises concernées et de leurs salariés, et donc sans la moindre "morale" ...Et ce trader avait déjà réussi quelques "affaires" pour la Société Générale - que celle-ci n'avait pas reniées, au contraire - et il en avait seulement retiré quelques primes en plus de son salaire, primes prévues par la banque elle-même pour encourager les initiatives ... Il est possible que ces primes lui soient montées à la tête ...et qu'il se soit vu "trop beau", ...mais l'activité des traders n'est pas seulement personnelle, ...elle est en principe contrôlée en permanence par des "régulateurs" ...et, par conséquent la hiérarchie, et notamment le Président, ne peut esquiver sa reponsabilité ...Ou alors il faut imaginer que cette hiérarchie a le comportement prêté aux commissaires qui, dans les films policiers, disent à leurs inspecteurs, dans des enquêtes difficiles : "Allez-y ...Mais attention ...En cas de problème, je ne vous couvre pas !" ...Car, selon l'aphorisme célèbre, "Prudence est mère de sûreté" ...même si elle confine avec l'hypocrisie et la lâcheté ...Il est tellement plus facile de s'en prendre aux plus faibles pour éviter d'affronter les forts, comme le rappelle un autre aphorisme tiré d'une fable de Jean de la Fontaine - Les animaux malades de la peste - "Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir"... Autrement dit, et pour conclure, cette affaire n'est qu'une version contemporaine et récurrente de l'histoire ancienne du "bouc émissaire" ... Certes, Jérôme Kerviel a eu la "sottise" d'engager une somme déraisonnable de 15 milliards d'euros, mais il a toujours déclaré qu'il pensait "se refaire", comme il l'avait fait précédemment dans des spéculations mal engagées ...Mais sa hiérarchie, et notamment le président Daniel Bouton - timorés - ont alors pris peur dans le contexte de la crise financière en cours et ont suspendu son action ...De là à porter plainte ...et à poursuivre l'action judiciaire, alors que la Société Générale a rapidement compensé ses pertes, et même au-delà, ..il y a beaucoup plus qu'un pas, il y a une montagne de méchanceté ...aussi haute et aussi bête que la décision de lui imposer de payer près de 5 milliards d'euros de dommages et intérêts, ce qu'il ne peut évidemment pas satisfaire, d'autant moins qu'il est également condamné à "ne plus exercer directement ou indirectement d'activités financières" ...Il est vrai qu'un responsable de la Société Générale a aussitôt déclaré : "C'est une peine de principe. On ne lui réclamera pas cet argent" ...Dans ce cas, il ne s'agit plus que d'une "décision exemplaire" ...de "ridicule", pour la banque ...comme pour la justice française !...