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L'Histoire est certainement, parmi les activités intellectuelles, celle qui est la plus prisée par les hommes , car elle se rapporte à des faits concrets relatifs à leur passé et elle est donc plus abordable que la littérature et la philosophie faisant appel à une réflexion abstraite.
L'Histoire est en effet définie comme une "science du passé", mais il s'en faut de beaucoup qu'elle soit une "science exacte"comme les mathématiques ou la physique traduisant des lois de la nature. Elle est au contraire une construction ou plutôt une "reconstruction" humaine, et, à ce titre elle ne peut être que relative, c'est-à-dire dépendante des conditions dans lesquelles elle a été écrite.
Cette dépendance est d'abord celle des sources ...Longtemps, il n'y a eu qu'une transmission "orale" des informations sur le passé, et cette transmission était nécessairement incomplète et fragile, ne permettant pas de reconstitution détaillée et chronologique, et, pour cette raison, on a parlé de "Préhistoire" qui est, en l'occurrence, avec plusieurs millions d'années, infiniment plus longue que les 7000 ans d'Histoire dite "connue" ...En effet, l'Histoire elle-même n'apparaît qu'avec "l'écriture", et celle-ci n'est , à l'origine, pratiquée que par une "élite" politique et
religieuse, qu'il s'agisse des hiéropglyphes de l'Egypte, des signes cunéiformes de la Mésopotamie, ou de l'alphabet phénicien, grec ou latin, certains textes étant même restés intraduisibles comme ceux des Etrusques... Il est donc logique que l'Histoire ait alors été "instrumentalisée" pour justifier des croyances religieuses - comme la Bible des Hébreux mélangeant des récits légendaires à des faits réels pour montrer la puissance de leur Dieu - ou pour mettre en valeur certains événements glorieux comme les guerres médiques ou les conquêtes romaines ou des personnages célèbres comme Ramsès II, Périclès, Jules César, etc...Et il en est ainsi jusqu'à l'époque contemporaine, l'Histoire se limitant le plus souvent à des récits particuliers ...sous forme de "Chroniques", de "Mémoires", ou de "Biographies" comme "La vie de Charlemagne" d'Eginhard ou "L'Histoire de Saint-Louis" de Joinville ...ou toutes les "Vies des Saints" destinées à l'édification religieuse des fidèles et ne constituant que des "hagiographies"...
En fait, la recherche d'une Histoire continue et cohérente n'apparaît qu'au 19ème siècle, en particulier en France avec Jules Michelet, auteur d'une "Histoire de France" rédigée entre 1833 et 1867, et Ernest Lavisse qui est le premier à publier une "Histoire Générale du Monde du 4ème siècle à nos jours" entre 1893 et 1910 ...Mais ces reconstitutions historiques se situent alors dans un contexte "nationaliste" et il s'agit surtout de mettre en valeur le rôle des Etats, et en particulier de magnifier le passé de la France considérée comme un modèle non seulement par ses grands hommes - Vercingétorix, Clovis, Philippe-Auguste, François 1er, Henri IV, Louis XIV, etc... mais par ses réalisations célèbres, comme le Château de Versailles ou ...la "Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen" de 1789...Et cette Histoire reste seulement "évènementielle", s'attachant beaucoup plus aux "détails" qu'aux "causes" ... Il faut, en effet, attendre la 1ère moitié du 20ème siècle pour que les historiens étendent les champs d'études, ajoutant à l'histoire politique ou religieuse l'histoire économique, sociale et culturelle, à l'instigation de Marc Bloch et de l'Ecole des Annales qui définissent les moyens d'une recherche objective et d'une approche plus "encyclopédique" du passé ...Ce n'est donc pas par hasard que le nombre des livres et des revues d'histoire a littéralement explosé depuis la 2ème moitié du 20ème siècle, tandis que se multipliaient les émissions historiques non seulement en France - à l'image de la fameuse série de "La Caméra explore le temps" d'Alain Decaux et André Castelot entre 1957 et 1966 - , mais dans le reste du monde, à la faveur de ce qui est justement appelé la "mondialisation", phénomène ...historique certainement le plus marquant de ce début du 21ème siècle et du 3ème millénaire !...
Il n'en est pas moins vrai que l'opinion publique reste le plus souvent en retard sur le "renouvellement" de l'Histoire, et qu'elle croit encore à de "vieilles histoires", les personnes les plus âgées ayant d'ailleurs l'excuse de les avoir apprises naguère à l'école, dans des manuels racontant que "Notre pays autrefois s'appelait la Gaule et ses habitants les Gaulois ...qui vivaient dans des huttes", alors que les Gaulois ou Celtes avaient dèjà une vie raffinée dans des villes (comme Avaricum =Bourges avec ses immeubles à étages) et s'étaient répandus dans une grande partie de l'Europe (Gaule Cisalpine, Galice, Pays de Galles) et même au-delà (Galatie en Asie mineure) ...ou encore "La peur de l'an Mil", alors que le calendrier grégorien remontant à la naissance de Jésus-Christ était loin d'être répandu dans tout l'Occident ...ou encore Parmentier qui aurait introduit la pomme de terre en France au 18ème siècle alors qu'elle y était cultivée au moins depuis le 16ème siècle pour l'alimentation animale, le rôle de ce "bienfaiteur" s'étant limitée à encourager sa consommation par les hommes pour faire face aux disettes ...De même, beaucoup de Français s'obstinent à considérer que la Fête Nationale du 14 juillet, instituée en ...1880, commémore la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 alors qu'elle célèbre la Fête de la Fédération organisée le 14 juillet 1790 sur le Champ de Mars (emplacement de la Tour Eiffel) pour saluer "l'unité du peuple français" ...En fait, ces "erreurs de l'Histoire" ont été depuis longtemps corrigées...
Le problème actuel est plutôt dans le "détournement " de l'Histoire, consistant à faire des choix en fonction d'un jugement "à postériori", au lieu de présenter objectivement les faits tels qu'ils se sont déroulés ...Ainsi, en juin 1940, on parle d'une débâcle de l'armée pour mieux justifier d'une part la "trahison" du Maréchal Pétain signant un armistice, et d'autre part "l'appel du 18 juin" du Général De Gaulle à continuer le combat , ...présentation "dialectique" trop simpliste faisant peu de cas de la résistance acharnée des troupes de la Somme - qui détruit alors 120 des 180 blindés ddes divisions du Général Rommel, des cadets de Saumur qui défendent les ponts de la Loire ...et des 80.000 hommes qui, dans les Alpes, font reculer les 500.000 soldats de Mussolini ...De même, on présente l'élection du Président de la République au suffrage universel , décidée en 1962, comme un évènement fondateur de la 5ème République, en oubliant qu'elle avait déjà été pratiquée pour l'élection du Président de la 2ème république le 10 décembre 1848 consacrant Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1er ..., lequel en profitera pour se faire proclamer Empereur par son coup d'état du 2 décembre 1851, discréditant ainsi pour un siècle ce type d'élection ...C'est un détournement encore plus inacceptable qui consiste à "juger le passé" en fonction de la morale contemporaine, comme cela est le cas pour l'esclavage ou la colonisation ...Ces faits sont certes historiques, mais ils faisaient partie du contexte de leur époque : les esclaves, durant l'Antiquité, étaient la propriété de leurs maîtres mais on n'y trouvait rien à redire, car c'était une pratique admise à l'époque, et Jésus-Christ lui-même, tout en prêchant "l'amour du prochain", ne la condamne pas ... Quant à la colonisation européenne à partir du 15ème siècle, , elle ne se résume pas à une simple exploitation économique des territoires conquis et à des abus contre les indigènes - notamment la Traite des Noirs - car des explorateurs comme Caillié, Livingstone ou Savorgnan de Brazza ont considéré de bonne foi qu'ils apportaient la civilisation à des peuples "primitifs", dont on reconnaît seulement maintenant qu'ils connaissaient des civilisations "premières", que l'ancien Président Jacques Chirac a mis en valeur dans un musée ...Il n'y a donc pas lieu de demander aux générations actuelles - qui ne sont évidemment pour rien dans les comportements du passé - de pratiquer de la "repentance", voire d'approuver des lois "mémorielles" comme celle du 21 mai 2001 condamnant les "crimes contre l'humanité" des générations précédentes ...
Car c'est, de toutes façons, un autre problème pour l'Histoire que de vouloir légiférer à son propos ...On en a un nouvel exemple en cette fin d'année 2010 avec ce projet de création d'une "Maison de l'Histoire de France", c'est-à-dire, en fait , d'un
Musée ...Car ce projet, même s'il part d'une bonne intention du Président Sarkozy, n'est pas réalisable sans risques : il peut d'abord apparaître comme un repli sur "l'identité nationale" qui fait actuellement l'objet d'une controverse politique ...Il peut aussi déformer le fait que l'Histoire de la France a toujours été mêlée depuis deux millénaires à celle du reste du monde ...Et il ne pourra que difficilement rendre compte de tous les conflits qui l'ont émaillée, car cette Histoire n'a jamais été un "long fleuve tranquille" : Gaulois contre Romains, Armagnacs contre Bourguignons, Protestants contre Catholiques, Montagnards contre Girondins, Républicains contre Monarchistes, Dreyfusards et Anti-Dreyfusards, Front Populaire et Conservateurs, Pétainistes et Gaullistes, et maintenant, Sarko...philes et Sarko...phages ! ...Un tel musée pourra-t-il faire une balance égale et objective entre toutes ces oppositions ? Qui choisira les thèmes d'études ? Une Commission d'historiens qualifiés ? Encore faudrait-il qu'ils se mettent d'accord, ce qui reste incertain...
Ainsi va l'Histoire, avec ses histoires ...
Illustrations :
- Clio, la Muse de l'Histoire en Grèce
- Hôtel de Soubise à Paris, actuellement occupé par les Archives Nationales et choisi pour la Maison de l'Histoire de France