Jésus est assurément l'un des personnages les plus importants de l'histoire de l'humanité... Sa date de naissance s'est progressivement imposée à l'ensemble du globe pour le décompte du temps ...et sa vie terrestre, pourtant courte (33 ans), a suscité depuis des siècles une quantité innombrable d'ouvrages.
La publication du livre de l'américain James Tabor (1) "La véritable histoire de Jésus" (Editions Robert Laffont 2007) n'a donc à priori rien d'extraordinaire...Elle se distingue néanmoins par le fait que l'auteur écarte délibérément tout dogme théologique, c'est-à-dire une manifestation transcendante et "divine", et s'en tient strictement à une étude historique, celle d'un "homme" qui, en dépit de son caractère exceptionnel, reste pour lui ce qu'il appelle un "être de chair" :
- Cela commence par la "conception" même de Jésus... Marie n'étant que "fiancée" à Joseph avant son accouchement à Bethléem (Luc 2/5), on peut supposer que l'enfant n'a pas été conçu par ..."l'opération du Saint-Esprit", et l'auteur évoque même une hypothèse ancienne d'une liaison ou d'un viol avec un soldat romain, Pantera, - Joseph ayant eu la générosité de sauver Marie de la honte en l'épousant et en adoptant l'enfant...
- Après la naissance de Jésus, Marie aurait eu d'autres enfants - dont 3 fils Jacques, Simon et Jude, qui sont d'ailleurs cités dans les Evangiles comme les "frères" de Jésus (Marc 6/3)... Comme Joseph disparaît des textes après la Présentation au Temple, il est possible que, conformément à la règle juive du "lévirat" imposant au frère d'un défunt d'épouser la veuve, Marie ait été remariée après le décès éventuel de Joseph à son frère Clophas, cité à plusieurs reprises dans son entourage...
- L'auteur reconnaît ensuite que l'enfance et la jeunesse de Jésus jusqu'à 30 ans est mal connue, mais il suppose que Jésus a suivi le métier de Joseph et de Clophas, puisque, plus tard dans ses voyages, il sera reconnu ...et mal reçu à Nazareth où il avait vécu : "N'est-ce pas le fils du charpentier ?" (Matthieu 13/5), un charpentier qui a certainement travaillé dans les villes alors construites en Galilée par les Romains à Sepphoris et Tibériade, donc avec un statut social modeste qui expliquerait sa compassion pour les pauvres et son mépris des riches...
- Jésus a toujours été dans le domaine religieux un juif pratiquant et n'a jamais été ..."chrétien", au sens de vouloir créer une "nouvelle religion"...Il a suivi à la fois l'exemple et l'enseignement de Jean-Baptiste, en qui il reconnaît "plus qu'un prophète" (Luc 7/26), c'est-à-dire un ..."Messie", ce qui signifie un envoyé de Dieu "oint par le Seigneur"... L'auteur rappelle à ce propos que le baptême et le "Notre Père" ont été institués par Jean-Baptiste...
- Jésus ne commence réellement son enseignement qu'après l'exécution de Jean-Baptiste par le "roi" Hérode Antipas soucieux d'éliminer un "révolutionnaire" dangereux dans cette Palestine agitée où les Juifs ne reconnaissent pas sa "royauté" qui n'est pas issue de David... Jésus prend donc le relais de son ..."maître" et s'entoure alors de fidèles, notamment de 12 apôtres symbolisant les 12 tribus anciennes d'Israël... Il a d'autant plus de succès auprès des "foules" qu'il prêche la solidarité et manifeste des dons de guérisseur qui sont aussi d'exorciste, puisque la maladie était alors considérée comme possession du démon...
- Mais pour autant Jésus n'affirme jamais qu'il est "Fils de Dieu" (l'appel à Dieu comme son Père est une marque de piété et non de "filiation")... Et, s'il parle du "Royaume de Dieu", c'est pour annoncer des temps nouveaux où les Juifs ne seront plus soumis à l'occupation romaine et retrouveront le "trône de David"... Mais précisément les Romains et leurs "collaborateurs" locaux - surtout les prêtres sadducéens - craignent par dessus tout un retour de la dynastie de David à laquelle Jésus est apparentée par ses parents... et c'est la raison essentielle pour laquelle, en raison de sa popularité (cf son entrée à Jérusalem...) Jésus est rapidement arrêté, jugé et exécuté de façon ignominieuse ...sans que Dieu intervienne : "Eloï, Eloï...Lama Sabactani " - Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné... (Matthieu 27/46-50)
- L'histoire pourrait s'arrêter là, car ce n'est ni la 1ère fois ni la dernière fois que les Romains, en cette époque de "messianisme" intense chez les Juifs, exécutent des chefs rebelles...L'historien juif Flavius Josèphe en dénombre une douzaine, dont le dernier sera Bar Kochba en 135... De surcroît, s'agissant de Jésus, le tombeau provisoire où il avait été enterré à la hâte est retrouvé vide 3 jours après, car son corps a peut-être été transféré en secret en un autre lieu (2) pour éviter une manifestation de fidèles... et d'ailleurs ceux-ci, craignant pour leur propre vie, se sont dispersés...
Mais l'histoire rebondit... Le danger passé, les "Nazaréens" (1ère appellation des fidèles) reviennent à Jérusalem et se regroupent "naturellement" autour de Jacques, frère puîné de Jésus : ce sont essentiellement des Juifs, respectueux comme Jésus des prescriptions de la "Loi"(ex: sabbat)...mais ils la dépassent par la "Foi" dans le "Royaume de Dieu" annoncé par Jésus comme proche, ce que refusent les Juifs orthodoxes... Alors il n'est pas encore question de la "Résurrection" de Jésus, et certains apôtres (comme Thomas) sont retournés à leurs activités anciennes (Jean 21/2-3)...
La notion de "Résurrection" n'apparaît qu'avec Saül devenu Paul, ancien persécuteur des Nazaréens (martyre d'Etienne)... qui a une vision du "Christ ressuscité" sur le chemin de Damas (vers 36), et va alors , avec la force d'un nouveau converti, se faire "l'Apôtre des Gentils", c'est-à-dire des "Non-Juifs"...et donner ainsi, à la faveur de nombreux voyages assortis de la création de nombreuses "communautés", sa 1ère forme à "l'Eglise"...ce qui fait de lui le véritable fondateur du "christianisme". Il est d'ailleurs l'auteur des 1ers textes du futur Nouveau Testament (Epîtres) car les Evangiles canoniques (Marc, Matthieu, Luc et Jean) ne seront écrits que dans le demi-siècle suivant son exécution avec Pierre à Rome sous Néron (62-64)... Le dogme chrétien, largement influencé par Paul, prendra alors sa forme connue évoquant "Jésus, conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie...qui a été crucifié, est mort, a été enseveli...a ressuscité le 3ème jour, est monté au ciel où il est assis à la droite du Père"... Cette théologie, étant fondée sur la "Foi" avec ce que cela comporte de mysticisme, échappe au "raisonnement " humain... Mais elle peut néanmoins donner lieu à des observations "historiques" :
- Le dogme n'a cessé de varier ou d'évoluer depuis deux millénaires, ce qui s'est traduit par des "courants" nombreux et parfois contradictoires, en particulier sur un problème aussi fondamental que la "nature" de Jésus : à la doctrine devenue officielle du "vrai homme et vrai Dieu" se sont opposées des "hérésies", de l'arianisme niant la divinité de Jésus au monophysisme ne reconnaissant que le caractère divin... Et il serait trop long d'évoquer toutes les "églises" (chaldéenne, maronite, etc) se différenciant par des points de doctrine, ou s'étant séparées du "catholicisme" (Orthodoxes, Protestants, Evangélistes...)
- Les personnages de Jean-Baptiste et de Jacques ont été "marginalisés", le 1er parce qu'il était difficile pour l'Eglise d'admettre que Jésus ait pu être son "élève" (elle en a fait seulement un "précurseur"), et le 2nd parce qu'il était également difficile de reconnaître que Pierre, fondateur de l'Eglise romaine et ...1er "Pape", avait reconnu, ainsi que Paul, son principal inspirateur, ...l'autorité de Jacques au premier Concile réuni à Jérusalem (50)...
- Inversement, le personnage de Marie a pris des proportions sans commune mesure avec son rôle modeste... Elle a certainement accompagné Jésus jusqu'à sa mort, et elle a ensuite été honorée par les fidèles, notamment l'apôtre Jean... Mais la "divinisation" de son fils a conduit l'Eglise non seulement à la notion de "conception virginale" mais à la "virginité absolue", le corollaire un peu "facile" étant d'affirmer que les "frères" cités dans les Evangiles étaient en fait des "cousins" ou des ..."beaux-frères"... En fait, il apparaît que ces affirmations de "virginité" sont surtout la traduction de la "satanisation" de l'acte sexuel au Moyen-Age, ce qui n'était pas du tout le cas dans la Palestine antique...Or ce souci de purifier Marie du démon a été jusqu'à faire au 19ème siècle un dogme de "l'Immaculée Conception", c'est-à-dire d'affirmer qu'elle avait elle-même été conçue sans la trace du péché originel, pour pouvoir porter l'enfant Jésus sans ombre...
Jésus a donc été certainement un personnage admirable, dont l'enseignement "humaniste" mérite le respect... Mais que d'histoires - bien "humaines"...Mon Dieu ! - on a racontées en son nom !...
(1) Chef du Département d'Etudes religieuses à l'Université de Caroline du Nord
(2) Controverse actuelle à propos de la découverte de la "tombe de Talpiot" sur le Mont des Oliviers près de Jérusalem (1996), comportant un ossuaire avec la mention "Jésus fils de Joseph", car l'Eglise ne peut évidemment pas admettre, même comme simple hypothèse, que les ossements aient pu être ceux de Jésus...