La "grand-messe" en six leçons ...Tel est le titre de l'article de Philippe Labro, journaliste dont la réputation n'est plus à faire, dans la page "Débats" du journal Le Figaro du 12 Novembre 2012, où il se livre à un tableau comparatif des conférences de presse des six Présidents successifs de la 5ème République avant François Hollande avant celle prévue par celui-ci le 13 novembre 2012, ...et ce tableau ne manque pas de sel :
"Attention, Mesdames et Messieurs, ça va commencer !" Demain après-midi, 17 heures, devant au moins 400 journalistes, et en direct sur trois chaines "tout info", ce sera la grand messe, la première conférence élyséenne de François Hollande. Quel que soit le Président au pouvoir, quelles que fussent ses intentions avant d'y accéder, une fois installé au "Château", il ne peut pas, ne doit pas, et sans doute ne veut pas - déroger à ce rite français, ce cérémonial républicano-monarchique. En général, il ressort de ce moment singulier de la vie de la 5ème République de quoi faire mouliner les médias, vibrer les sondagistes et, parfois, de quoi inscrire une phrase, pour toujours, dans la mémoire collective.
Le rite a été imposé et formaté par De Gaulle. Et même si tout a changé (acteurs, costumes, accessoires, langages et comportements), la mise en scène varie peu, pas plus que le décor. Dans cette immense salle des fêtes construite à la demande de Sadi Carnot en 1889, tout est chargé de faste. Les lustres, le rouge, les colonnes et le stuc, les doubles rideaux, les tapisseries des Gobelins, c'est l'univers des "grandeurs d'établissement ". Un lieu, un passé, des traditions, des huissiers, des chaises dorées. Inimaginable aux Etats-Unis...
J'en ai connu et suivi plusieurs, et voulu confronter mes souvenirs avec ceux d'un expert en la matière, le talentueux Alain Duhamel. Avec sa faconde et son expérience, l'éditorialiste de RTL me dit : "Pour chaque Président, nous assistons à une leçon. Avec De Gaulle, une leçon d'histoire. Avec Pompidou, une leçon d'humanités. Avec VGE, une leçon d'économie. Avec Mitterrand, une leçon de politique. Avec Chirac, une leçon de tactique ou, si on veut être désagréable, de navigation. Avec Sarkozy, une leçon de "close-combat" ...
La leçon d'Histoire. Je me souviens du Connétable, lourd dans son costume gris anthracite aux revers de veste trop larges, et qui, après avoir courtoisement demandé qu'on lui dresse la liste des questions, les englobait pour livrer sa mission de la France et du monde. De Gaulle assidûment se préparait à ces numéros. Il mémorisait chaque phrase devant une glace, plusieurs jours auparavant, répétant son discours magistral sous les conseils d'un sociétaire de la Com"die Française. C'était de l'opéra.
Assis sur un cube qui dominait l'ensemble d'une salle figée dans l'admiration, le respect ou une hostilité jamais affichée, De Gaulle savait parfois sortir du texte, mais rien n'était inattendu, puisque toutes les questions - toutes ! - avaient été distribuées à l'avance, par l'Elysée, à des journalistes qui, non seulement ne se choquaient pas d'être utilisés comme des figurants de la solenelle dramaturgie, mais en tiraient même quelque fierté. Ce honteux trquage journalistique est impossible aujourd'hui. Je vois encore, assis par dix rangs de quatre personnes, les ministres du gouvernement, à la droite du Général, par ordre procolaire, masques silencieux de choristes écoutant le grand Baryton.
La leçon d'Humanités. Pompidou savait "mettre une touche d'humanité autant que de culture" dans son approche. Cet homme dont, grâce à sa correspondance (...), on mesure mieux encore , aujourd'hui, la culture, la finesse de jugement et l'esprit supérieur, savait distiller des références littéraires. Le ton était moins altier, épique, que celui du Général, mais on y entendait une autorité, il se dégageait de ce personnage aux sourcils épais, à la voix chaude et séduisante, au naturel non feint, un vrai charisme. Il possédait une sorte de densité physique qui renforçait, par contraste, la sensation d'une belle subtilité, une fine psychologie des êtres. Sa plus célèbre intervention reste sa réaction à propos du suicide de Gabrielle Russier, cette professeur accusée de détournement d'un de ses élèves, un mineur. Il prend son temps, il rythme les silences, un sourire fugace passe sur son visage, suivi d'une gravité et d'un dosage de grand acteur dans la réponse, empruntée à Paul Eluard : "La victime raisonnable au regard d'enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés". Moment unique. La salle frémit. Soudain l'émotion surgit dans ce décor glacé ou De Gaulle avait fait passer un autre souffle.
La leçon d'Economie . C'est Giscard qui va amorcer la vraie rupture. Il instaure modernité et jeunesse. Sa "réunion de presse", il y a réfléchi, s'inspirant des modèles américains - dont celui de Kennedy. Giscard est debout, là où les autres étaient assis. Un fond bleu, derrière lui, et du bleu dans la chemise, la cravate, jusqu'à son costume parce qu'il y a ...la télé . Elle jouait déjà son rôle dans les messes précédentes, mais, ce coup-ci, elle règne. D'ailleurs, les journalistes sont différents, comme si le changement de style du jeune Président (48 ans) correspond au même changement de leur comportement. un bouquet de fleurs simples est posé au coin de table, sur laquelle VGE appuie ses mains, démonstratif, utilisant le "je" et le "considérable" a jet continu. Aucune préparation des questions au préalable. Alain Duhamel aime raconter qu'un collaborateur de l'Elysée, à la veille d'une émission de télé (exercice que VGE préférait à la grand-messe), lui dit : "Nous n'avons pas reçu votre question" . Mon confrère répond qu'il n'a aucune raison de la soumettre. Le lendemain, il évoque cet échange avec VGE : "Etait-ce vous qui souhaitait connaître ma question ?" Et Giscard de répondre, imperturbable : " Pourquoi voudriez-vous que je cherche à connaître les questions, puisque je sais les réponses".
La leçon de Politique. Mitterrand, malgré lui, s'imprégnait de De Gaulle, mais n'était pas loin d'une posture à la Pompidou. Même culture, même suavité, même habileté. Maîtrise de la langue, aisance dans l'expression, domination des sujets et jouissance de la joute avec les journalistes. Jamais pris au dépourvu, improvisant avec maestria. Face à lui, une nouvelle génération de journalistes. Le port de la cravate n'est plus indispensable, on entend des tutoiements entre presse et politique."Tonton", en revanche, abhorre toute familiarité. Il ne fut jamais aussi bon que lors du 1er conflit en Irak, respirant la certitude d'être le meilleur. Mémoire, rouerie, stratagèmes et ambiguïtés. Le Florentin.
La leçon de Tactique. Chirac s, selon Alain Duhamel, n'aimait pas du tout l'exercice ( il n'organisera que 5 conférences en 12 ans) ..."Autant il était libre et bon en campagne, autant il était raide en conférence officielle".
La leçon de Combat. Sarkozy ? Il a tout désacralisé. Il a renversé la table. Son exposé de deépart était trop long, mais fut vite éclipsé par "l'incroyable numéro des questions et réponses" . Ainsi la fameuse séance du 8 janvier 2008, avec ses confidences publiques sur le "sérieux" de son lien avec Carla Bruni. Cependant, pour Alain Duhamel, les plus impressionnantes conférences de Sarkozy furent celles qu'il tenait, une fois par mois, lorsqu'il était Ministre des Finances. "On suivait un exercice de virtuosité inouïe. Je dois dire que je n'ai jamais connu des performances aussi réussies. Nous allions à Bercy pour assister à un spectacle d'une compétence et d'une agilité extraordinaires".
A qui ressemblera, demain, la grand-messe de Hollande ? Y trouverons-nous une septième leçon ? Il ne cherchera sans doute aucun modèle. Il sait qu'on l'attend sur une définition claire de sa ligne.: "Va-t-il se comporter en hyperprésident ? Il doit passer de l'impressionnisme au fauvisme. C'est son intérêt."
Et effectivement François Hollande joue gros dans cette "Grand-messe" qui s'est imposée à lui plus qu'il ne l'a imposée ...Lui qui se voulait près des gens, il est dans le "château" ...Lui qui voulait le "changement", il est "maintenant" dans l'obligation de suivre un rite ...Tout va compter : sera-t-il debout devant un pupitre ou assis à une table ? Aura-t-il sollicité les questions ou devra-t-il improviser ? Sera-t-il raide ou jovial ? Fera-t-il une annonce-choc restant dans les mémoires ? Fera-t-il encore des promesses, ou prendra-t-il, devant les nécessités de l'heure, avec l'accroissement de la dette et du chômage, des mesures de rigueur ? ...Le dernier sondage, ce jour, le crédite de 36 % seulement ...Aucun de ses prédécesseurs n'a fait pire après 6 mois de Présidence ...Il ne peut plus se permettre le moindre faux pas...